31

Jaina sentit comme un poids lui compresser la poitrine et son oreille se mit à bourdonner. L’atmosphère du dortoir était remplie d’un parfum réconfortant de savon et d’odeurs corporelles de plus d’une douzaine d’espèces différentes. Mais l’odeur prédominante, familière, forte et musquée, était une odeur humaine.

Masculine.

Zekk.

Jaina s’étira et sentit le bras de ce dernier, puis sa jambe, collés contre son corps. Elle tourna légèrement la tête et distingua les traits burinés de Zekk ainsi que sa chevelure brune et hirsute. Dieu merci, il était tout habillé.

La nuit précédente lui revint soudain en mémoire : l’arrivée de Unu sur Jwlio, la Danse de l’Union, les Affiliés divisés en groupes de deux, trois et quatre et sa main dans celle de Zekk…

Ce dernier ouvrit ses grands yeux verts, et le sourire qui illumina son visage fut aussitôt remplacé par un regard inquiet. Il cligna des yeux à deux ou trois reprises, puis se tourna vers ce corps de femme légèrement vêtu contre lequel il avait collé le sien. Jaina eut comme un déclic. Les yeux de Zekk se plongèrent dans les siens et elle le sentit passer d’un état d’incrédulité à une sorte de confusion mêlée de culpabilité.

— Eh bien, déclara Jaina sur un ton faussement neutre. Ce fut une nuit… intéressante.

— Ouais. (Zekk s’écarta discrètement sur le côté.) Je… J’ai l’impression d’avoir rêvé.

Jaina inclina la tête.

— Tu veux dire que tu n’as pas aimé ?

Zekk écarquilla les yeux.

— Oh non, c’était super ! s’exclama-t-il. Génial, même. C’est juste que… je n’arrive pas à croire que ça s’est vraiment passé…

Zekk laissa traîner sa phrase, préférant partager ses pensées et ses émotions avec Jaina directement à travers la fusion mentale. Il n’avait cessé de l’aimer depuis qu’ils étaient adolescents. Et il s’était imaginé marchant à ses côtés plus d’un milliard de fois. Mais la nuit qu’il venait de passer était différente. Il avait comme l’impression qu’il ne s’agissait pas d’eux. Les émotions qu’ils avaient ressenties étaient des émotions Killik. Il s’était laissé emporter à ses côtés dans l’envoûtement de la danse et s’était retrouvé à la mener jusqu’au dortoir, avec tous les autres Affiliés…

— Zekk, il ne s’est rien passé, dit Jaina. Juste un petit câlin entre copains, c’est tout. Ça te gêne ou quoi ?

— Absolument pas ! fit Zekk. J’ai juste la sale impression d’avoir cherché à en profiter.

Jaina lui saisit l’avant-bras.

— Et moi je te dis que non. (Elle était profondément touchée par son inquiétude. Et plutôt soulagée de réaliser que c’était le beau et musclé Zekk qui lui avait pris la main plutôt qu’un Raynar complètement défiguré.) Nous nous sommes égarés pendant une minute, mais tout est rentré dans l’ordre. Je suis juste contente qu’Alema soit rentrée à la maison avec maman et papa.

Zekk resta silencieux et Jaina se redressa légèrement.

— Hé ! Elle lui donna un petit coup sur l’épaule. Je sais à quoi tu penses !

— Désolé.

Zekk devint tout rouge et lui tourna le dos. Jaina put deviner qu’il était en train de se fermer émotionnellement.

— Vas-tu cesser de t’excuser ? demanda Jaina en lui faisant les gros yeux. Je crois que je ferais mieux de m’habiller maintenant.

Elle s’assit et, sentant une présence dans son dos, se tourna pour tomber nez à nez avec Raynar, dressé au beau milieu de l’allée centrale, juste devant sa couchette renfoncée. Vêtu d’or et de rouge, et entouré de son escorte habituelle de Killik, il était agenouillé, en train de scruter l’intérieur de la cabine couchette hexagonale, avec une expression indiscernable. Jaina sentit comme une frayeur mêlée d’admiration la submerger – la réaction naturelle des Taat face à UnuThul – et lui offrit son plus beau sourire.

Sourire qu’elle s’empressa de dissimuler en se rappelant que l’individu qui lui faisait face s’était autrefois nommé Raynar Thul.

— Bonjour… Raynar. (Jaina glissa ses deux pieds à l’intérieur de la combinaison et continua à s’habiller.) Vous venez voir comment on vit ?

Raynar plissa son front tout déformé.

— Pourquoi continuez-vous à nous appeler Raynar ? Vous savez bien que Raynar Thul n’est plus.

— Raynar n’a pas totalement disparu, déclara Jaina. Je peux toujours ressentir sa présence.

Raynar baissa la tête dans sa direction et déclara :

— Vous avez peut-être raison. Peut-être reste-t-il encore une infime parcelle de Raynar Thul à l’intérieur de nous. Et celui-ci sera malheureux de vous voir partir.

Jaina et Zekk eurent exactement le même mouvement de recul.

— Partir ?

— Votre séjour ici touche à sa fin, expliqua Raynar.

— Vraiment ? (Jaina glissa un bras dans une des manches de sa combinaison.) Je ne savais pas que les Chiss avaient fait marche arrière.

Tandis qu’elle s’exprimait, l’image d’une patrouille de griffes en reconnaissance lui apparut – une scène relayée, au même moment, sur l’un des écrans tactiques du poste de contrôle Taat. Les vaisseaux se reflétaient contre le disque ambré de Ruu, survolant Qoribu et son système d’anneaux dorés.

— Je dirais même qu’ils rôdent plus que jamais dans les parages, fit Zekk qui, à n’en pas douter, venait d’avoir exactement la même vision. Je ne comprends pas, pourquoi la Colonie voudrait-elle nous voir partir maintenant ?

— Nous souhaitons que vous rejoigniez l’Alliance Galactique, dit Raynar en esquivant la question.

— Et que devient notre mission ? (Jaina se leva et ferma sa combinaison.) Vous nous avez fait venir ici pour maintenir la paix.

Raynar se redressa à son tour.

— Vos chasseurs stellaires sont en plein ravitaillement. Nous vous remercions d’être venus.

— Vous semblez pressé de vous débarrasser de nous, observa Zekk en fermant sa propre combinaison. Que se passe-t-il ?

— Ce sont les Chiss, devina Jaina. Ils sont sur le point d’attaquer.

— Je ne peux rien faire de plus. Et nous voulons éviter d’impliquer les Jedi dans ce conflit, déclara Raynar dans un soupir.

— Il va y avoir de la bagarre, observa Zekk.

— Pas cette fois, reprit Raynar. Les Chiss ont l’intention de mettre un terme au conflit. Et inutile de préciser qu’ils ne se laisseront pas intimider par quelques ruses Jedi.

— Qui ne tente rien n’a rien. (Jaina saisit sa ceinture et commença à l’attacher. Elle ne comprenait pas pourquoi les Chiss avaient soudain décidé de changer de stratégie en lançant une attaque massive. Mais la guerre réservait bien des surprises.) Où comptez-vous les combattre ? Zekk et moi allons…

— Non. Nous ne voulons pas mettre en danger nos amis de cette manière.

— Que croyez-vous qu’ils sont en train de faire ? demanda Zekk, en attachant sa propre ceinture. Nous sommes ici pour maintenir la paix. Et nous ne partirons…

— Rien ne sert d’essayer de maintenir la paix, fit Raynar. Et je vous ordonne de partir.

La voix de Raynar se fit plus grave et menaçante. Et ni Zekk, ni Jaina ne furent en mesure de discuter davantage.

Une embuscade.

La pensée traversa l’esprit de Jaina avant même que les Taat présents dans l’escorte de Raynar ne commencent à se frapper la poitrine. Raynar tendit l’oreille, se tourna vers Jaina et hocha la tête.

— Vous avez toujours eu la tête dure, Jaina. N’essayez pas de…

— Cela ne fonctionnerait pas, fit Zekk, arrivant aux mêmes conclusions que Jaina. Si vous anéantissez cette flotte Chiss, la prochaine sera encore plus imposante.

Raynar baissa la tête, exactement comme quand il n’était encore un sémillant Jedi.

— Vous avez probablement raison. Il est préférable que vous restiez.

— Nous n’avions pas l’intention de partir sans Lowbacca, de toute manière, dit Jaina. Et puis Zekk a raison. La Colonie n’est pas suffisamment puissante pour détruire toute une flotte spatiale Chiss.

— Cela ne sera pas nécessaire, expliqua Raynar. Il nous faut simplement les retenir en attendant que les renforts Hapiens arrivent.

— Les Hapiens ? (Jaina quitta la cellule couchette et s’avança dans l’allée centrale, en direction de Raynar.) Que sont-ils venus faire ?

— Défendre les opprimés, déclara Raynar. Jacen a convaincu Tenel Ka de nous envoyer une flotte.

— Jacen a convaincu Tenel Ka, ou vous avez utilisé Jacen pour la convaincre ? demanda Jaina. Vous savez vous montrer très persuasif.

— Peut-être. Mais nous ne sommes pas assez forts pour contrôler Jacen, avoua Raynar. Il nous a échappé. Et vous le savez bien.

Jaina fut incapable de discuter. Au cours de ces cinq années d’exil, Jacen s’était montré de plus en plus doué dans le maniement de la Force. Mais également plus distant et loin d’elle. Un peu comme un ermite réfugié au sommet de sa montagne. A vrai dire, cela lui avait fait froid dans le dos. Elle avait même l’impression qu’au fil des jours, son jumeau lui devenait de plus en plus étranger.

— Jacen ne vous aurait pas envoyé une flotte, dit Zekk. Cela risquerait de provoquer une guerre entre les Chiss et l’Alliance Galactique.

— Ou en empêcher une entre nous et les Chiss, observa Raynar. Peut-être souhaite-t-il courir le risque.

— Même les Solo n’oseraient prendre de tels risques, fit Jaina. Lorsque les Chiss se sentent menacés, ils ne battent pas en retraite. Ils deviennent mauvais et particulièrement agressifs.

— Vous ne pouvez pas vous opposer à eux, dit Zekk.

— Ce que nous ne pouvons faire, c’est les laisser détruire les nids de Qoribu. (L’escorte de Raynar s’engagea brutalement vers la sortie et il se tourna pour les suivre.) Pour l’heure, vous restez nos invités.

Jaina le suivit le long de l’allée.

— Raynar ! Lorsque deux gardes du corps à la carapace noueuse décidèrent de lui bloquer le passage, elle utilisa la Force pour les endormir et déclara : C’est de la pure folie !

Raynar continua d’avancer.

— Considérez cela comme de l’autodéfense. (A nouveau, sa voix se fit plus grave et autoritaire.) Vous retournerez à vos baraquements et y resterez jusqu’à ce que la bataille commence. C’est un ordre.

Jaina était prête à lui obéir, mais la froideur de son ton la perturba quelque peu. Un ton brutal et menaçant, si éloigné de la personnalité de Raynar Thul qu’elle en conclut qu’il n’était pas le seul à s’exprimer. Elle s’immobilisa au centre de l’allée et, tout en empêchant Zekk de regagner les baraquements, tenta de se connecter à Raynar.

La présence obscure à l’intérieur de lui semblait si puissante qu’elle eut un net mouvement de recul. Elle essaya de se frayer un chemin dans cette obscurité amère, à la recherche de la fierté et de l’idéalisme de Raynar. En quête de son moi authentique et profond.

— Ils désirent cette guerre plus que tout, fit-elle. Ce sont eux qui vous ont convaincu d’établir vos nids si près de la Frontière Chiss.

Raynar s’immobilisa mais ne se retourna pas.

— Ils ? Qui ça, ils ?

— Vos équipiers à bord du Flier. (Zekk passa devant Jaina et s’engagea le long de l’allée, en direction de Raynar.) Lomi et Welk.

— Lomi et Welk sont morts.

Jaina dénicha quelques vestiges de pureté et de compassion à l’intérieur d’Unu Premier et tenta de l’atteindre plus profondément.

— Mais alors, qui a bien pu attaquer l’Ombre ?

— Des mercenaires insectes à la solde des Chiss, répondit instantanément Raynar.

Zekk s’immobilisa à deux pas de ce dernier.

— Vous avez des preuves ?

— Nous n’avons pas le temps de nous embarrasser de preuves. (Raynar lui tourna le dos et son escorte d’insectes le suivit de près, mettant de fait un terme à la discussion.) Nous sommes trop occupés à défendre nos nids.

Jaina soupira intérieurement. Jamais ils n’allaient réussir à élucider la cause de ces attaques mystérieuses.

— Et l’agression dont a été victime Saba ? demanda Zekk. Je suppose que vous allez me dire qu’un Affilié s’est jeté sur elle par erreur, qu’il lui a pris son sabre laser et l’a blessée ?

— Oui, répondit Raynar. C’est la meilleure explication possible.

Jaina ne relâcha pas son emprise.

— Je m’adresse au véritable Raynar. Ils te cachent la vérité…

— Nous sommes fatigués de vous entendre !

La présence obscure gagna en puissance à l’intérieur de Raynar et fit presque perdre l’équilibre à Jaina. Elle entra instinctivement en contact avec Zekk et tenta une fusion mentale avec lui. Mais elle ne put y trouver qu’une ombre froide et effrayante.

— Raynar Thul n’est plus, déclara solennellement Raynar.

Jaina se sentit défaillir. Elle avait beau lutter, fixer Raynar droit dans les yeux, elle n’avait pas la force de lui faire front. Elle fit demi-tour et prit la direction des baraquements.

— Nous sommes tout ce qu’il reste de lui, ajouta-t-il.